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[Schuttgart]Un corps sans tête.
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Lokia rêvait.
L’image de Talgraak La puissante en plein été la berçait. Lokia jouait et chahutait avec les autres enfants du village sous le regard bienveillant des anciens. Elle courrait sous le grand dolmen de la place centrale, pieds nus. Elle partait chasser en groupe de jeune paak, gloussant dans les herbes hautes avec ses amies, dotées d’arcs bricolés avec des branches.
Lokia grandissait.
Ses amies parfois devenaient concurrence, et d’autres devenaient idole du village. Des bagarres éclataient avec ses sœurs de caste lorsqu’un beau guerrier venait à passer près du temple. Elle devait se montrer digne et fière pour se l’accaparer et écraser ses propres sœurs. Elle devint une mystique, prête à servir la cause orque.
A cinq printemps d’intervalle, elle perdit son père, tombé au combat sur le front Ketra, ainsi que sa mère, mordue par une terrible blessure. Dans la famille, la grande sœur n’existait plus, Lokia était dénommée maintenant mère.
Lokia apprenait.
Elle apprenait de la vie, prenant soin des siens.
Elle apprenait au temple, lorsque le temps lui permettait, se plongeant dans ses études pour oublier la dureté de cette vie. Lorsque les plus jeunes frères et sœurs furent capable de débrouiller seuls, elle fut troublé de voir qu’elle avait oublié le temps.
Elle avait oubliée de fonder sa propre famille, et peu d’hommes au village ne voudraient d’une femme d’apparence infertile.
Elle retrouva refuge au sein du temple, apprenant par les shamans une façon de contrôler cette émotion, cette déception, pour la transformer en force.
Lokia chassait.
Elle retrouva bien vite la compagnie de vrais orques, la Kölan Oroka. Elle bénissait les guerriers, elle envoutait leurs armes et les soignait en cas de blessures.
Ce matin-là, ils rentraient d’une mission diplomatique après une nuit passée à Schuttgart, lorsqu’un des chasseurs flaira une odeur familière.
—Un elfe ! s’écria t’il hystérique avant de foncer à brides rabattues, l’arme au clair.
—Restes-là, crétin ! hurla Lokia. Pa’agrio n’est pas avec toi!
Alors qu’elle poursuivait à dos de Fenrir le guerrier empressé, elle ne fit pas attention à la corde qui venait de se tendre, la désarçonnant. Sa tête rencontra le sol gelé, avant qu’un voile noir ne s’empare d’elle.
Lokia souffrait.
Tout son corps lui faisait mal. Elle était à genoux dans l’herbe humide, étourdie et à bout de souffle. Secouant la tête pour s’éclaircir les idées, elle tenta de comprendre ce qui venait de se passer.
Quelques minutes plus tôt, elle poursuivait ce crétin d’Oroka, partit comme un chien aux arrières d’un elfe en fuite. Puis elle avait fait une chute de fenrir, et trois humains étaient sortis de nulle part.
Les humains ?
Elle cligna des yeux et étudia le trio qui se tenait devant elle.
L’homme le plus proche arborait une cicatrice qui courait du milieu de sa joue au coin de sa bouche. Sa moustache en bataille et ses cheveux noirs graisseux ne faisaient rien pour arranger son visage constellé de marques de petite vérole.
Le suivant semblait encore plus corrompu. Plus petit, plus mince et moins large d’épaules, il avait des cheveux d’un blond sablonneux, un bouc clairsemé ornant son menton. Un bandeau de cuir dissimulait son œil droit et son rictus révélait des dents pourries.
Le dernier était le plus frappant. Le plus massif, aussi : il devait peser davantage que les deux autres réunis, et il n’avait pas un seul gramme de graisse. Son crâne était rasé, son nez aplati, et ses petits yeux enfoncés dans leurs orbites évoquaient ceux d’un cochon. Le seul qui ne tînt pas d’arme, sans doute parce qu’il n’en avait pas besoin. Son armure de plaque était si sale qu’on la croyait de charbon.
Des trois hommes se dégageait l’odeur caractéristique et vaguement déplaisante des membres de leur race.
Ils toisèrent Lokia. Ce n’était pas de la bonté qui brillait dans leur regard.
Le premier dit quelque chose que la femelle orc ne comprit pas. Il prit de nouveau la parole, s’adressant à ses compagnons plutôt qu’à elle.
— C’est une des Oroka. Elle correspond à la description.
— On dirait que nous avons de la chance, fit l’humain au bandeau.
— À votre place, je ne parierais pas là-dessus, marmonna Lokia.
— Oooh, mais c’est qu’elle a du caractère, ricana le borgne.
Le type qui ressemblait à une montagne, paraissait moins arrogant.
— Qu’est-ce qu’on fait, alors ? demanda-t-il.
— Elle est toute seule, et c’est une femelle, répondit « Vérole ». Ne me dis pas que tu as peur d’une pauvre petite orque ? Nous en avons massacré suffisamment…
— Oui, mais les autres pourraient ne pas être loin.
Lokia se demanda qui pouvaient être ces personnages. Les humains étaient en général des créatures déplaisantes. Mais ces trois-là battaient des records…
Alors, elle remarqua les petits objets noircis pendus à la ceinture de Vérole et du borgne. Des têtes d’orques réduites. Ses derniers doutes s’envolèrent. Elle savait à qui elle avait affaire.
Le borgne sonda les arbres d’un regard inquiet. Il cherchait les compagnons de la shamane.
— Nous les aurions vus s’ils étaient là, lâcha Vérole. (Il se tourna vers Lokia.) Où est ton clan ?
Elle feignit l’innocence.
— Quel clan ?
— Tes compagnons sont-ils dans le coin, insista l’humain, ou les as-tu laissés à Schuttgart ?
Elle se tut, espérant que son expression ne la trahirait pas.
— Nous savons que vous étiez là-bas pour le nain, dit Vérole. Un troupeau d’orques ne passe pas inaperçu. Tes camarades y sont-ils toujours ?
— Allez-vous faire foutre ! lui conseilla aimablement Lokia.
Il eut un sourire déplaisant, sans desserrer les lèvres.
— Il existe une foule de façons plus ou moins douloureuses de te faire parler… personnellement, je me moque de celle que je devrai employer.
— Tu veux que je lui casse quelques os ? demanda le gros humain en s’approchant.
Lokia se tendit, prête à bondir.
— Je suggère qu’on la bute et qu’on en finisse, dit le borgne, impatient.
— Elle ne nous servira à rien si elle crève sans parler, objecta Vérole.
— Nous aurons la prime placée sur sa tête, pas vrai ?
— Réfléchis un peu, abruti ! C’est toute sa tribu de malades que nous voulons. Pour le moment, elle est notre seul espoir de trouver les autres. (Il regarda la femelle orque.) Tu as quelque chose à me dire ?
— Oui. Va crever !
Elle lui flanqua une ruade. Les talons de ses bottes percutèrent ses tibias avec un grand craquement. L’humain cria et s’effondra.
Les deux autres furent lents à réagir. Le gros hoqueta de stupeur. Lokia bondit sur ses pieds et malgré la douleur, dans ses jambes et son dos, ramassa son épée.
Avant qu’elle puisse s’en servir, le borgne se ressaisit et se jeta sur elle.
L’impact la plaqua de nouveau à terre. Mais elle s’accrocha à son épée. Le borgne voulut la lui prendre ; ils roulèrent sur le sol en se bourrant de coups de poings.
Vérole et le gros se joignirent à la mêlée. Lokia reçut un coup à la mâchoire. Son épée lui échappa. Elle flanqua un crochet dans les dents du borgne et se débattit pour lui échapper.
— Rattrapez-la ! cria le gros.
— Prenez-la vivante ! rugit Vérole.
— Vous pouvez toujours compter là-dessus ! ricana Lokia.
Le gros lui saisit une jambe. Elle se retourna et lui martela la tête de coups de poings… avec un résultat aussi probant que si elle avait craché pour éteindre les feux de Pa’agrio. Elle prit appui sur sa figure de son pied libre et poussa pour se libérer.
Le gros ahanait. La semelle de la botte de Lokia s’enfonça dans sa joue charnue rougie par l’effort et il finit par lâcher.
Lokia voulut se relever. Un bras s’enroula autour de son cou et serra. Haletante, elle enfonça son coude dans l’estomac de Vérole. L’entendant crier de douleur, elle recommença. Son étreinte se desserra. Elle en profita pour s’échapper.
Cette fois, elle eut le temps de se relever. Elle était en train de dégainer un des lancettes cachées dans sa manche quand le borgne se jeta de nouveau sur elle, la bouche en sang. Alors qu’elle trébuchait, les deux autres humains lui tombèrent dessus.
Encore mal remise de sa chute de fenrir, Lokia savait qu’elle n’était pas de taille à lutter contre trois tueurs. Mais il n’était pas dans sa nature – ni dans celle de n’importe quel orque – d’abandonner sans combattre.
Les humains s’efforçaient de lui immobiliser les bras. Alors qu’elle se débattait comme un beau diable pour les en empêcher, le visage de Lokia se retrouva tout près de celui du borgne. Plus spécifiquement, tout près de son oreille.
Elle plongea les dents dedans.
Il cria et elle mordit un peu plus fort.
Le borgne se débattait, mais il n’arrivait pas à s’extraire de la masse de bras et de jambes entremêlés. Lokia lui déchira l’oreille, lui arrachant des cris de bête à l’agonie.
La chair commença à céder. Un goût salé lui envahit la bouche. Elle donna un coup de tête en arrière et un morceau d’oreille lui resta entre les dents. Elle le recracha d’un air dégoûté.
Le borgne se libéra et roula sur lui-même, une main plaquée son crâne.
— Salope, gémit-il, des larmes dans la voix.
Vérole apparut au-dessus de Lokia. Son poing s’abattit plusieurs fois sur la tempe de la femelle orque.
— Ligote-la, ordonna-t-il lorsqu’elle fut à moitié assommée.
Le gros la força à se mettre en position assise et saisit une cordelette dans la poche de son infâme tunique. Il lui lia les poignets sans ménagement.
Allongé dans la poussière, le borgne continuait à pleurer et à maudire Lokia.
Vérole souleva la manche de la chamane orc et lui prit ses lancettes. Puis il la fouilla, à la recherche d’autres armes.
— Je… vais… la… tuer, bêla le borgne en se contorsionnant de douleur.
— La ferme ! cria Vérole. (Il plongea une main dans sa poche et en tira un chiffon sale.) Tiens.
Il laissa tomber le « mouchoir » près de son compagnon, qui le prit et tenta d’étancher le sang.
— Mon oreille ! Cette petite garce m’a bouffé l’oreille !
— Ce n’est pas une grosse perte, répliqua Vérole. De toute façon, tu n’écoutes jamais ce qu’on te dit.
Le gros éclata d’un rire tonitruant.
— Ce n’est pas drôle ! beugla le borgne.
— Un seul œil et une seule oreille, insista le gros, les bajoues tremblotantes. Ça te fait la paire !
Vérole éclata de rire à son tour.
— Salauds ! crâcha le borgne.
Vérole baissa les yeux vers Lokia, son hilarité envolée.
— Ce n’était pas très gentil, gronda-t-il, menaçant.
— Je peux être encore beaucoup plus méchante que ça ! défia la femelle orque.
Le borgne se releva en marmonnant et s’approcha d’eux. Vérole s’accroupit. Soufflant son haleine fétide au visage de Lokia, il grogna :
— Les autres orques sont-ils toujours à Schuttgart ? C’est la dernière fois que je te le demande.
La femelle Oroka le fixa sans répondre.
Le borgne lui flanqua un coup de pied dans les côtes.
— Tu vas parler, chienne !
Elle encaissa sans broncher. Vérole fronça les sourcils.
— Arrête, ordonna-t-il à son compagnon.
Pourtant, il ne semblait pas se soucier beaucoup du bien-être de leur captive. Le borgne le foudroya du regard et tamponna son oreille mutilée.
— Alors ? insista Vérole. Sont-ils à Schuttgart, oui ou non ?
— Vous croyez vraiment pouvoir affronter les Orokas à trois ? demanda Lokia.
— C’est moi qui pose les questions ! cracha Vérole. Et la patience n’est pas ma plus grande qualité. (Il tira un couteau de sa ceinture et le lui agita sous le nez.) Dis-moi où ils sont si tu ne veux pas que je te fasse sauter les yeux.
Lokia réfléchit très vite.
— À Giran.
— Quoi ?
— Elle ment, c’est trop loin ! cria le borgne.
Vérole aussi paraissait sceptique.
— Pourquoi Giran? Que feraient-ils là-bas ?
— C’est un port libre.
— Et alors ?
— Quand on a quelque chose à vendre, c’est l’endroit où on peut en obtenir le meilleur prix, dit Lokia, comme à contrecœur.
— Elle n’a pas tort, intervint le gros.
— Je sais ! beugla Vérole. (Il regarda Lokia.) Et qu’ont-ils à vendre, au juste ?
Elle les appâta en gardant le silence.
— Ce que vous avez volé aux nains, pas vrai ?
Elle hocha la tête, espérant qu’ils goberaient l’hameçon.
— Il faut que ce soit quelque chose de précieux pour que vous ayez pris le risque de devenir des renégats et d’affronter la colère de Maphr, fit Vérole, l’air pensif.
Lokia comprit qu’ils n’étaient pas au courant de l’existence de Kasha, l’esprit que les Orokas avaient surnommés « L’esprit du grand hiver ». Ce n’était pas elle qui éclairerait leur lanterne.
— C’est un trophée. Une relique très ancienne.
— Un trésor ?
— C’est ça, un trésor.
Elle doutait qu’ils puissent comprendre le sens qu’elle donnait à ce mot.
— Je le savais ! triompha Vérole, une lueur de cupidité dans le regard. Il fallait que ce soit quelque chose d’important. J’vous la laisse, y’a plus rien à en tirer. Récoltez la preuve pour obtenir notre prime.
Ces hommes étaient des chasseurs d’orques. Ils pouvaient accepter que les Orokas se soient parjurés par appât du gain, mais pas pour un idéal. Ça collait beaucoup mieux avec leur vision corrompue du monde et de ce peuple qu’il considérait moins intelligent qu’un chien galeux.
— Dommage que tu ne sois pas encore avec les tiens, nous aurions pu multiplier la prime! dit le borgne, l’air satisfait, portant la main à son arme.
C’était la phrase qu’elle redoutait depuis le début de l’interrogatoire. Quoi qu’il arrive désormais, l’issue était claire …
Lokia fixa du regard Vérole avec un air de défi sans se détourner une seule seconde.
Les Orokas ne craignent pas la mort, ils vivent avec quotidiennement. Ils ne redoutent pas la douleur, les années d’entrainement violentes et difficiles les affranchissent de ce désagrément.
Un chant métallique retentit. Funèbre, glacial, et qui, malgré sa discrétion, s’entend à des lieux à la ronde. Le son d’une arme qui sort de son fourreau, pour s’abattre inexorablement sur sa victime. Des oiseaux s’envolèrent d’un bosquet, des loups soucieux s’arrêtèrent pour humer l’air. La nature se tût le temps d’une seconde, un bref instant solennel dédié à l’une de ses gardiennes qui disparaissait.
Lokia s’effondra, un sourire aux lèvres. Son dernier défi, son ultime affront face à ces chasseurs aveuglé par la rage et l’appât du gain.
— Après ce que je te réserve, tu vas moins sourire, sale pute ! exultait le borgne, alors qu’il lui tranchait la tête pour la mettre dans un sac…
Vérole regardait la scène, un mélange de satisfaction et d’excitation dans ses yeux. Ce soir les orokas allaient leur offrir un bon repas avec cette prime, et qui sait, une fille de joie pourrait se laisser tenter par l’appât d’une piécette facilement gagnée…
L’image de Talgraak La puissante en plein été la berçait. Lokia jouait et chahutait avec les autres enfants du village sous le regard bienveillant des anciens. Elle courrait sous le grand dolmen de la place centrale, pieds nus. Elle partait chasser en groupe de jeune paak, gloussant dans les herbes hautes avec ses amies, dotées d’arcs bricolés avec des branches.
Lokia grandissait.
Ses amies parfois devenaient concurrence, et d’autres devenaient idole du village. Des bagarres éclataient avec ses sœurs de caste lorsqu’un beau guerrier venait à passer près du temple. Elle devait se montrer digne et fière pour se l’accaparer et écraser ses propres sœurs. Elle devint une mystique, prête à servir la cause orque.
A cinq printemps d’intervalle, elle perdit son père, tombé au combat sur le front Ketra, ainsi que sa mère, mordue par une terrible blessure. Dans la famille, la grande sœur n’existait plus, Lokia était dénommée maintenant mère.
Lokia apprenait.
Elle apprenait de la vie, prenant soin des siens.
Elle apprenait au temple, lorsque le temps lui permettait, se plongeant dans ses études pour oublier la dureté de cette vie. Lorsque les plus jeunes frères et sœurs furent capable de débrouiller seuls, elle fut troublé de voir qu’elle avait oublié le temps.
Elle avait oubliée de fonder sa propre famille, et peu d’hommes au village ne voudraient d’une femme d’apparence infertile.
Elle retrouva refuge au sein du temple, apprenant par les shamans une façon de contrôler cette émotion, cette déception, pour la transformer en force.
Lokia chassait.
Elle retrouva bien vite la compagnie de vrais orques, la Kölan Oroka. Elle bénissait les guerriers, elle envoutait leurs armes et les soignait en cas de blessures.
Ce matin-là, ils rentraient d’une mission diplomatique après une nuit passée à Schuttgart, lorsqu’un des chasseurs flaira une odeur familière.
—Un elfe ! s’écria t’il hystérique avant de foncer à brides rabattues, l’arme au clair.
—Restes-là, crétin ! hurla Lokia. Pa’agrio n’est pas avec toi!
Alors qu’elle poursuivait à dos de Fenrir le guerrier empressé, elle ne fit pas attention à la corde qui venait de se tendre, la désarçonnant. Sa tête rencontra le sol gelé, avant qu’un voile noir ne s’empare d’elle.
Lokia souffrait.
Tout son corps lui faisait mal. Elle était à genoux dans l’herbe humide, étourdie et à bout de souffle. Secouant la tête pour s’éclaircir les idées, elle tenta de comprendre ce qui venait de se passer.
Quelques minutes plus tôt, elle poursuivait ce crétin d’Oroka, partit comme un chien aux arrières d’un elfe en fuite. Puis elle avait fait une chute de fenrir, et trois humains étaient sortis de nulle part.
Les humains ?
Elle cligna des yeux et étudia le trio qui se tenait devant elle.
L’homme le plus proche arborait une cicatrice qui courait du milieu de sa joue au coin de sa bouche. Sa moustache en bataille et ses cheveux noirs graisseux ne faisaient rien pour arranger son visage constellé de marques de petite vérole.
Le suivant semblait encore plus corrompu. Plus petit, plus mince et moins large d’épaules, il avait des cheveux d’un blond sablonneux, un bouc clairsemé ornant son menton. Un bandeau de cuir dissimulait son œil droit et son rictus révélait des dents pourries.
Le dernier était le plus frappant. Le plus massif, aussi : il devait peser davantage que les deux autres réunis, et il n’avait pas un seul gramme de graisse. Son crâne était rasé, son nez aplati, et ses petits yeux enfoncés dans leurs orbites évoquaient ceux d’un cochon. Le seul qui ne tînt pas d’arme, sans doute parce qu’il n’en avait pas besoin. Son armure de plaque était si sale qu’on la croyait de charbon.
Des trois hommes se dégageait l’odeur caractéristique et vaguement déplaisante des membres de leur race.
Ils toisèrent Lokia. Ce n’était pas de la bonté qui brillait dans leur regard.
Le premier dit quelque chose que la femelle orc ne comprit pas. Il prit de nouveau la parole, s’adressant à ses compagnons plutôt qu’à elle.
— C’est une des Oroka. Elle correspond à la description.
— On dirait que nous avons de la chance, fit l’humain au bandeau.
— À votre place, je ne parierais pas là-dessus, marmonna Lokia.
— Oooh, mais c’est qu’elle a du caractère, ricana le borgne.
Le type qui ressemblait à une montagne, paraissait moins arrogant.
— Qu’est-ce qu’on fait, alors ? demanda-t-il.
— Elle est toute seule, et c’est une femelle, répondit « Vérole ». Ne me dis pas que tu as peur d’une pauvre petite orque ? Nous en avons massacré suffisamment…
— Oui, mais les autres pourraient ne pas être loin.
Lokia se demanda qui pouvaient être ces personnages. Les humains étaient en général des créatures déplaisantes. Mais ces trois-là battaient des records…
Alors, elle remarqua les petits objets noircis pendus à la ceinture de Vérole et du borgne. Des têtes d’orques réduites. Ses derniers doutes s’envolèrent. Elle savait à qui elle avait affaire.
Le borgne sonda les arbres d’un regard inquiet. Il cherchait les compagnons de la shamane.
— Nous les aurions vus s’ils étaient là, lâcha Vérole. (Il se tourna vers Lokia.) Où est ton clan ?
Elle feignit l’innocence.
— Quel clan ?
— Tes compagnons sont-ils dans le coin, insista l’humain, ou les as-tu laissés à Schuttgart ?
Elle se tut, espérant que son expression ne la trahirait pas.
— Nous savons que vous étiez là-bas pour le nain, dit Vérole. Un troupeau d’orques ne passe pas inaperçu. Tes camarades y sont-ils toujours ?
— Allez-vous faire foutre ! lui conseilla aimablement Lokia.
Il eut un sourire déplaisant, sans desserrer les lèvres.
— Il existe une foule de façons plus ou moins douloureuses de te faire parler… personnellement, je me moque de celle que je devrai employer.
— Tu veux que je lui casse quelques os ? demanda le gros humain en s’approchant.
Lokia se tendit, prête à bondir.
— Je suggère qu’on la bute et qu’on en finisse, dit le borgne, impatient.
— Elle ne nous servira à rien si elle crève sans parler, objecta Vérole.
— Nous aurons la prime placée sur sa tête, pas vrai ?
— Réfléchis un peu, abruti ! C’est toute sa tribu de malades que nous voulons. Pour le moment, elle est notre seul espoir de trouver les autres. (Il regarda la femelle orque.) Tu as quelque chose à me dire ?
— Oui. Va crever !
Elle lui flanqua une ruade. Les talons de ses bottes percutèrent ses tibias avec un grand craquement. L’humain cria et s’effondra.
Les deux autres furent lents à réagir. Le gros hoqueta de stupeur. Lokia bondit sur ses pieds et malgré la douleur, dans ses jambes et son dos, ramassa son épée.
Avant qu’elle puisse s’en servir, le borgne se ressaisit et se jeta sur elle.
L’impact la plaqua de nouveau à terre. Mais elle s’accrocha à son épée. Le borgne voulut la lui prendre ; ils roulèrent sur le sol en se bourrant de coups de poings.
Vérole et le gros se joignirent à la mêlée. Lokia reçut un coup à la mâchoire. Son épée lui échappa. Elle flanqua un crochet dans les dents du borgne et se débattit pour lui échapper.
— Rattrapez-la ! cria le gros.
— Prenez-la vivante ! rugit Vérole.
— Vous pouvez toujours compter là-dessus ! ricana Lokia.
Le gros lui saisit une jambe. Elle se retourna et lui martela la tête de coups de poings… avec un résultat aussi probant que si elle avait craché pour éteindre les feux de Pa’agrio. Elle prit appui sur sa figure de son pied libre et poussa pour se libérer.
Le gros ahanait. La semelle de la botte de Lokia s’enfonça dans sa joue charnue rougie par l’effort et il finit par lâcher.
Lokia voulut se relever. Un bras s’enroula autour de son cou et serra. Haletante, elle enfonça son coude dans l’estomac de Vérole. L’entendant crier de douleur, elle recommença. Son étreinte se desserra. Elle en profita pour s’échapper.
Cette fois, elle eut le temps de se relever. Elle était en train de dégainer un des lancettes cachées dans sa manche quand le borgne se jeta de nouveau sur elle, la bouche en sang. Alors qu’elle trébuchait, les deux autres humains lui tombèrent dessus.
Encore mal remise de sa chute de fenrir, Lokia savait qu’elle n’était pas de taille à lutter contre trois tueurs. Mais il n’était pas dans sa nature – ni dans celle de n’importe quel orque – d’abandonner sans combattre.
Les humains s’efforçaient de lui immobiliser les bras. Alors qu’elle se débattait comme un beau diable pour les en empêcher, le visage de Lokia se retrouva tout près de celui du borgne. Plus spécifiquement, tout près de son oreille.
Elle plongea les dents dedans.
Il cria et elle mordit un peu plus fort.
Le borgne se débattait, mais il n’arrivait pas à s’extraire de la masse de bras et de jambes entremêlés. Lokia lui déchira l’oreille, lui arrachant des cris de bête à l’agonie.
La chair commença à céder. Un goût salé lui envahit la bouche. Elle donna un coup de tête en arrière et un morceau d’oreille lui resta entre les dents. Elle le recracha d’un air dégoûté.
Le borgne se libéra et roula sur lui-même, une main plaquée son crâne.
— Salope, gémit-il, des larmes dans la voix.
Vérole apparut au-dessus de Lokia. Son poing s’abattit plusieurs fois sur la tempe de la femelle orque.
— Ligote-la, ordonna-t-il lorsqu’elle fut à moitié assommée.
Le gros la força à se mettre en position assise et saisit une cordelette dans la poche de son infâme tunique. Il lui lia les poignets sans ménagement.
Allongé dans la poussière, le borgne continuait à pleurer et à maudire Lokia.
Vérole souleva la manche de la chamane orc et lui prit ses lancettes. Puis il la fouilla, à la recherche d’autres armes.
— Je… vais… la… tuer, bêla le borgne en se contorsionnant de douleur.
— La ferme ! cria Vérole. (Il plongea une main dans sa poche et en tira un chiffon sale.) Tiens.
Il laissa tomber le « mouchoir » près de son compagnon, qui le prit et tenta d’étancher le sang.
— Mon oreille ! Cette petite garce m’a bouffé l’oreille !
— Ce n’est pas une grosse perte, répliqua Vérole. De toute façon, tu n’écoutes jamais ce qu’on te dit.
Le gros éclata d’un rire tonitruant.
— Ce n’est pas drôle ! beugla le borgne.
— Un seul œil et une seule oreille, insista le gros, les bajoues tremblotantes. Ça te fait la paire !
Vérole éclata de rire à son tour.
— Salauds ! crâcha le borgne.
Vérole baissa les yeux vers Lokia, son hilarité envolée.
— Ce n’était pas très gentil, gronda-t-il, menaçant.
— Je peux être encore beaucoup plus méchante que ça ! défia la femelle orque.
Le borgne se releva en marmonnant et s’approcha d’eux. Vérole s’accroupit. Soufflant son haleine fétide au visage de Lokia, il grogna :
— Les autres orques sont-ils toujours à Schuttgart ? C’est la dernière fois que je te le demande.
La femelle Oroka le fixa sans répondre.
Le borgne lui flanqua un coup de pied dans les côtes.
— Tu vas parler, chienne !
Elle encaissa sans broncher. Vérole fronça les sourcils.
— Arrête, ordonna-t-il à son compagnon.
Pourtant, il ne semblait pas se soucier beaucoup du bien-être de leur captive. Le borgne le foudroya du regard et tamponna son oreille mutilée.
— Alors ? insista Vérole. Sont-ils à Schuttgart, oui ou non ?
— Vous croyez vraiment pouvoir affronter les Orokas à trois ? demanda Lokia.
— C’est moi qui pose les questions ! cracha Vérole. Et la patience n’est pas ma plus grande qualité. (Il tira un couteau de sa ceinture et le lui agita sous le nez.) Dis-moi où ils sont si tu ne veux pas que je te fasse sauter les yeux.
Lokia réfléchit très vite.
— À Giran.
— Quoi ?
— Elle ment, c’est trop loin ! cria le borgne.
Vérole aussi paraissait sceptique.
— Pourquoi Giran? Que feraient-ils là-bas ?
— C’est un port libre.
— Et alors ?
— Quand on a quelque chose à vendre, c’est l’endroit où on peut en obtenir le meilleur prix, dit Lokia, comme à contrecœur.
— Elle n’a pas tort, intervint le gros.
— Je sais ! beugla Vérole. (Il regarda Lokia.) Et qu’ont-ils à vendre, au juste ?
Elle les appâta en gardant le silence.
— Ce que vous avez volé aux nains, pas vrai ?
Elle hocha la tête, espérant qu’ils goberaient l’hameçon.
— Il faut que ce soit quelque chose de précieux pour que vous ayez pris le risque de devenir des renégats et d’affronter la colère de Maphr, fit Vérole, l’air pensif.
Lokia comprit qu’ils n’étaient pas au courant de l’existence de Kasha, l’esprit que les Orokas avaient surnommés « L’esprit du grand hiver ». Ce n’était pas elle qui éclairerait leur lanterne.
— C’est un trophée. Une relique très ancienne.
— Un trésor ?
— C’est ça, un trésor.
Elle doutait qu’ils puissent comprendre le sens qu’elle donnait à ce mot.
— Je le savais ! triompha Vérole, une lueur de cupidité dans le regard. Il fallait que ce soit quelque chose d’important. J’vous la laisse, y’a plus rien à en tirer. Récoltez la preuve pour obtenir notre prime.
Ces hommes étaient des chasseurs d’orques. Ils pouvaient accepter que les Orokas se soient parjurés par appât du gain, mais pas pour un idéal. Ça collait beaucoup mieux avec leur vision corrompue du monde et de ce peuple qu’il considérait moins intelligent qu’un chien galeux.
— Dommage que tu ne sois pas encore avec les tiens, nous aurions pu multiplier la prime! dit le borgne, l’air satisfait, portant la main à son arme.
C’était la phrase qu’elle redoutait depuis le début de l’interrogatoire. Quoi qu’il arrive désormais, l’issue était claire …
Lokia fixa du regard Vérole avec un air de défi sans se détourner une seule seconde.
Les Orokas ne craignent pas la mort, ils vivent avec quotidiennement. Ils ne redoutent pas la douleur, les années d’entrainement violentes et difficiles les affranchissent de ce désagrément.
Un chant métallique retentit. Funèbre, glacial, et qui, malgré sa discrétion, s’entend à des lieux à la ronde. Le son d’une arme qui sort de son fourreau, pour s’abattre inexorablement sur sa victime. Des oiseaux s’envolèrent d’un bosquet, des loups soucieux s’arrêtèrent pour humer l’air. La nature se tût le temps d’une seconde, un bref instant solennel dédié à l’une de ses gardiennes qui disparaissait.
Lokia s’effondra, un sourire aux lèvres. Son dernier défi, son ultime affront face à ces chasseurs aveuglé par la rage et l’appât du gain.
— Après ce que je te réserve, tu vas moins sourire, sale pute ! exultait le borgne, alors qu’il lui tranchait la tête pour la mettre dans un sac…
Vérole regardait la scène, un mélange de satisfaction et d’excitation dans ses yeux. Ce soir les orokas allaient leur offrir un bon repas avec cette prime, et qui sait, une fille de joie pourrait se laisser tenter par l’appât d’une piécette facilement gagnée…
Tu nous as montré la civilisation, alors on va te montrer la barbarie.
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Lokia - Message(s) : 87
- Inscription : 22 Nov 2013, 15:36
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